samedi 11 octobre 2014

Redneck pulp

Ça fait un moment que je me plains de la mievreté de la littérature française: pas le début d'une idée, pas la moindre prise de risque stylistique et même pas une bonne scène d'énucléation pour racheter le tout. Faut dire que je ne m'y intéresse plus vraiment depuis un moment - tant qu'à se faire chier à relire le centième récit d'un quadra en déroute sexuelle perdu entre la rive gauche et le Marais, autant relire Proust. 

Un ensemble de livres vient d'ailleurs de me confirmer qu'il ne sert à rien de s'échiner et qu'il faut plutôt se tourner du côté des States pour assouvir ce genre de pulsion littéraire: un style, plutôt vague et uniquement par moi défini, qu'on pourrait désigner par le terme "redneck pulp" vient donner une grande mandale à la littérature avec des majuscules à fioritures de vieilles rombière. Pulp parce que ça ne cherche pas à faire des grandes épopées, des fresques melviliennes et que ça n'a pas la prétention méta-intellectuelle d'un Pynchon ou la débauche maniaco-dépréssive d'un Wallace, et puis redneck, parce que ça parle de cet immense territoire coincé entre New-York et Los Angeles qu'on appelle America ( je cite ici Ned Flanders). Il est difficile de classer ces trois recueils qui ne sont probablement que la partie émergée d'un iceberg d'histoires bourrées de pick-up rouillés et de labo de meth dans les champs: je les ai rangés du plus crade au plus clean, ça peut toujours servir.

C'est dans ma quête du southern gothic que je suis tombée sur Crimes in Southern Indiana, premier recueil de Frank Bill, qui tient aussi une house of grit. On voit le genre. La série de nouvelles tourne autour du même territoire - qui n'est d'ailleurs pas à proprement parler le Sud - mais qui est suffisamment paumé pour donner une idée du non-lieu qu'il représente sur la carte du monde. Le truc s'ouvre sur un deal qui tourne mal: dans le texte, ça donne un truc parfois limite compréhensible niveau vocabulaire, avec une vague idée de cerveau qui explose, de têtes arrachées et d'une espèce de nonchalance très Americana post-Malick ( en plus dégueu). Le reste est à l'avenant: chacun à sa façon et chacun avec son drame - l'alcoolo qui vend sa petite fille pour payer les médocs de sa femme, des types à la chasse au cerf explosés sur le bord de la route, des fantômes planqués dans les bois qui survivent à coup d'amphétes diluées dans le bourbon et une odeur d'eau de Javel dans l'air.  On pourrait penser que c'est répétitif: ça l'est: les histoires se recoupent, se font écho et finalement, c'est un peu toujours la même misère, les mêmes pick-up et la même matière grise étalée sur le pare-brise. Mais c'est un peu ça le principe: une collection de vies ratées exposées à cru sans chercher à faire joli et encore moins à faire sens. Du point de vue de la langue, ça grince, ça jargouine, ça bouffe ses mots et ça se déchire quelque part au niveau du cortex. Le lecteur avisé ne s'aventurera d'ailleurs pas sans une documentation à l'avenant à portée de main.

Knockemstiff est un degré en-dessous dans la crasse: un espace géographique limité à une seule ville - y'a même un plan!- peuplée de mi-consanguins, mi-tarés toujours en mode amphéte/bourbon/vieilles bagnoles poussiéreuses et dinner blafards à 4 heure du. Mais là, y'a des trucs plus drôles, des histoires parfois mignonnes, comme cette histoire d'amour complètement malentendue entre un ex-toxico et une fille qui planque des fish-stick dans son sac à main, ou celle du bodybuilder fou qui se suicide à coup de poses sur le bord de la route par moins 15. Plus dans un esprit "fuck it" et au-delà du bien, du mal et du taux limite d’alcoolémie, on a parfois un peu envie de gerber, mais tous ces types nous font plus rire que pitié, comme le héros de Bactine: " I found myself wishing I had a loved one who would die and leave me their barbiturates, but I couldn't think of anyone who'd ever loved me that much. My uncle had already already promised his to the mail lady". Genre miiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiignon ou quoi?

Enfin, Animal rights and Pornography, de Miller est peut-être le plus difficile à qualifier. Certes, il commence sur ces mots; 
In a large and ancient family farmhouse at the edge of civilization, the mother caught in a routine of cleaning and cooking, has long since become distant from the father, and he begins to fuck the only daughter. Eventually, the oldest son notes this and, half out of a sense of hunger and half out of a sens of wanting to possess and protect the girl, he begins to fuck her too. Taking part in a kind of silent power  struggle, the father begins to fuck the oldest son in his ass. They go around like that for some time. 
Alors oui, c'est du pulp, parce qu'un ensemble d'histoires à deux balles, de tranches de vies oubliées dans le bac à légume d'un frigo éteint pendant les vacances, et c'est peuplé de gens complètement ravagés, entre consanguins, bouffeurs de clebs, stripteaseuses, et de bébés qui s'appellent juste Bébé. Mais en même temps, il n'y a pas de critères géographiques qui jouent: c'est partout et nulle part en même temps. Pas d'ancrage dans l'espace ni dans le temps d'ailleurs. En fait, ce qui fait la qualité du livre, loin au-dessus des deux autres du point de vue style, c'est le côté ultra minimaliste, propre, immaculé, concis et précis comme un méga-silencieux sur un putain de flingue puissant. En toute délicatesse, Miller te raconte les pires histoires du monde, les trucs les plus atroces, que même quand ils commencent bien, tu sens le truc venir et tu te mets à chouiner à l'intérieur parce que t'aimerais bien que ça parte pas par-là putain mais au fond, c'est pour ça que c'est bon: au final, c'est là qu'on veut aller, même si c'est pas très avouable.  

Crimes in Southern Indiana, Frank Bill (2011)
Knockemstiff, Donald Ray Pollock (2009)
Animal rights and Pornography, J. Eric Miller ( 2004)

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